Restaurant Alexandre

Michel Kayser

 

Restaurant Alexandre – Michel Kayser
2, rue Xavier-Tronc – 30128 Garons

Tél. : 04 66 70 08 99

www.michelkayser.com

Reportage paru dans le Journal des Halles n° 11 – Février-Mars 2011
Texte : Jacques Maigne

Michel Kayser, perfectionniste modeste

Face à la piste (calme) de l’aéroport de Nimes-Garons, la bâtisse aux tons rouges avec son superbe jardin aux arbres centenaires est un temple gastronomique insolite, un de ces lieux de culte qui se moquent des modes, du temps qui passe et perpétuent le rite. Alexandre, deux étoiles du Gard, loin des turbulences de la ville proche ou des fièvres médiatiques, poursuit sa route en beauté, avec sérénité et rigueur.

À la barre de cette grande maison, un cuisinier venu du diable vauvert, la Lorraine, devenu grand chef languedocien. Marin au long cours et héritier inspiré d’un patrimoine, Michel Kayser a jeté l’ancre aux lisières des costières et Nîmes devrait en remercier le ciel. Michel Kayser ignore les effets de manche, les vérités toutes faites ou les théories à l’emporte pièce. Pour lui, les valeurs simples, en béton, travail en tête, mais aussi respect des gens qu’ils soient collaborateurs, fournisseurs ou clients, occultent et priment tout. A 55 ans, le cuisinier du Gard honoré de deux macarons au fameux guide rouge (depuis 2007), a passé l’âge de se raconter des histoires ou de feindre la séduction. Tout ce qu’il a patiemment construit, acquis, prouvé, il ne le doit qu’à lui-même et à son épouse Monique, son alter ego, mère de leurs deux filles revenues depuis peu dans le cercle familial. Cela, c’est la vie intime, secrète et seul le regard, plus brillant encore, trahit un peu, à peine, l’orgueil ou l’émotion. Aujourd’hui, ceint de son uniforme rouge maison, posé confortablement dans un fauteuil du salon de réception, c’est le chef qui reçoit tout sourire, prêt à reprendre le film dès le début. À Forbach, en Moselle, le père distribue des produits de charcuterie et la mère au foyer fait chanter les fourneaux (ah ! ses choux à la crème…) avec les moyens du bord. Famille modeste, monde ouvrier, ambiance minière. A la fin des années cinquante, la Lorraine est un pays sombre et besogneux mais la maison des Kayser est un havre paisible, harmonieux. Le fils aîné, bon élève, est envoyé à l’université et Michel, le cadet, faute de revenus familiaux, est, lui, aiguillé vers l’apprentissage dès l’âge de 13 ans. Il a un geste de la main, un sourire aussi. « D’emblée, j’ai aimé le travail bien fait et si j’avais été initié à un autre métier, je m’y serais aussi donné à fond »

Il s’est donc donné à fond à la cuisine sans que jamais sa famille n’ait mis les pieds dans un restaurant, et se retrouve pendant trois ans apprenti chez Albert Marie, à Rosebruck, un de ces artistes à l’ancienne (façon Escoffier) capable à plus de 500 km de la mer d’enlever des bouillabaisses d’anthologie« Belle formation !» dit-il sobrement. Il termine deuxième au CAP de cuisine en Moselle en 1972, décroche son premier poste au Bourgogne d’Evian les Bains (une étoile Michelin) puis parfait son initiation chez Bouvarel à Saint-Hilaire du Rosier, dans le Vercors, où il rencontre Monique. Ils partagent tous deux l’expérience Bouvarel, homme truculent et ouvert dont le seul lièvre au sang à la broche fait chavirer les gourmets. « Cet homme avait le sens du partage, une générosité rare et ce sont des valeurs qui ont enrichi mon parcours technique, qui lui ont donné du sens ». Insensiblement, le tour de France du jeune Lorrain infléchit sa route vers le sud et lorsqu’il débarque à Palavas chez Paul Alexandre (frère jumeau de Pierre, fondateur de l’Alexandre de Garons), c’est une révélation. « J’ai 19 ans, j’ai la mer devant, le camping derrière, je fais le boulot que j’aime, franchement c’était le pied ! » se souvient-il. Joie simple et sobre, gourmandise de la vie telle qu’elle vient, voilà ce qu’il n’a jamais renié. Voilà ce qui le guide dans la vie, dans sa cuisine aussi. Être soi-même sans tricher, aller au bout de sa quête sans le crier sur les toits, respecter aussi bien les produits que les gens, tous les gens, et, in fine, offrir du vrai, du bon… Il cherche un peu ses mots, insiste. « Je trouve parfois que les cuisiniers sont trop médiatisés. Moi, je crois au partage, c’est cela mon moteur, et seul ce qui est vraiment bon dans l’assiette peut donner du bonheur aux gens. C’est la base. Et pour faire bon, il faut apprendre sans cesse et tout maîtriser. 

C’est seulement quand tu maîtrises vraiment ton métier que tu peux enfin créer, innover, oser mais sans jamais perdre le fil ». Pour en arriver là, il a poursuivi son périple initiatique, année après année, encore avec Paul Alexandre en 1974, cette fois à l’Amirauté, sa nouvelle table de La Grande Motte, quelque temps en Alsace, puis à nouveau en Languedoc, sa terre adoptive. Pierre Alexandre vend son établissement une étoile de Garons, Michel et Monique Kayser hésitent (ils n’ont pas la moindre fortune) puis décident de se jeter à l’eau en 1983. L’accord financier passé avec l’ancien propriétaire est contraignant, le passage de témoin est difficile, puis même un peu houleux. Période de tension, d’inquiétude. À partir de 1987, l’année où il récupère son étoile, Michel Kayser resurgit, s’épanouit, se libère et ne lâche plus rien. Rigueur, modestie, humanisme, sens du partage, exigence du très bon, du très beau. Sans danser sur les tables pour autant. Alors, forcément, cet artisan de très haut niveau qui refuse avec force toute esbroufe ou avoue sans détour sa méfiance pour une certaine avant-garde (les expériences moléculaires de Ferran Adria, star d’El Bulli, lui paraissent plus ludiques que gastronomiques) ne fait pas forcément la une des médias. Tant pis pour eux. Mais passer à côté de l’huître Gillardeau prise dans son jus, de l’île flottante aux truffes sur velouté de cèpes (une de ses plus belles créations), du filet de Saint-Pierre posé sur encornet rôti avec sa sauce aux pignons, câpres et tomates confites ou de son explosif pot au feu de queue de bœuf en saucisse est une faute professionnelle. Et je ne dirai pas un mot sur sa glace à la réglisse d’Uzès ou son extravagant sabayon à la truffe du Ventoux sur mousseux d’amande…

RESTAURANT ALEXANDRE